Climat : tensions sur l’eau

Un article de Libération éclaire la situation de la précarité hydrique dans le contexte climatique… que nous reproduisons sans permission.
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Sécheresse
De «graves tensions» sur l’eau pourraient secouer la France d’ici à 2050
Dans un rapport dévoilé ce mercredi 25 juin, le Haut-Commissariat à la Stratégie et au Plan avertit que la France s’expose à des tensions hydriques majeures si elle ne modifie pas radicalement ses usages de l’eau.
par Margaux Lacroux
Une sécheresse historique, 86 % du territoire soumis à des arrêtés de restriction d’usage de l’eau et plus de 1 000 communes en difficulté pour alimenter le robinet de leurs habitants. L’été 2022 semble déjà lointain, mais ce type d’année marquée par une forte tension hydrique risque de devenir la «norme», avertit ce mercredi 25 juin le Haut-Commissariat à la Stratégie et au Plan. Dans un rapport prospectif, il dessine les risques de «graves tensions» à l’horizon 2050, à la fois pour les écosystèmes et les humains. Sans transformation radicale des usages (agriculture, énergie, industrie, eau potable…), près de 90 % du territoire pourrait se retrouver en situation de tension hydrique en été. «Si rien ne change, on pourrait imaginer que des communes subissent des ruptures d’approvisionnement en eau» similaires à celles vécues en 2022, précise Hélène Arambourou, coautrice du rapport. Ce risque pourrait être encore amplifié par la dégradation de la qualité de l’eau, «qui de fait réduirait la quantité d’eau disponible pour les différents usages humains», souligne le document.
La nature aussi va beaucoup souffrir. Sans même compter les prélèvements humains, les ressources présentes dans les rivières ne seront pas suffisantes pour combler les besoins des milieux aquatiques tout au long de l’année, à cause des bouleversements causés par le changement climatique. Ainsi, «les écosystèmes pourraient subir à l’horizon 2050 des situations de stress chronique plusieurs années consécutives sur toute la France hexagonale, en particulier dans le Sud-Ouest et le Sud-Est», avertit le rapport. «Le cycle de vie des animaux est perturbé par les périodes d’assecs [lorsque l’eau ne s’écoule plus dans les cours d’eau], des espèces y sont très sensibles et peuvent disparaître», complète Hélène Arambourou.
Modèles de société
Cette étude s’inscrit dans la continuité de précédents travaux sur la demande en eau actuelle des différents secteurs en France et sur l’évolution à horizon 2050. Conclusion principale : la consommation d’eau risque de doubler si la tendance actuelle se poursuivait.
Avec ce nouveau rapport, le Haut-Commissariat confronte la demande future (qui va augmenter) à la ressource potentiellement disponible (qui, elle, va diminuer) et ce dans un contexte de changement climatique. L’étude, particulièrement détaillée et basée sur les travaux Explore 2 de l’Inrae sur le futur de l’eau en France, porte sur quarante bassins-versants qui composent l’Hexagone. Elle dessine les conséquences hydriques de trois modèles de société : d’abord le scénario dit «tendanciel» qui poursuit les pratiques actuelles, peu économes en eau, puis celui de «politiques publiques» qui applique les mesures annoncées (notamment le plan eau de 2023) et enfin celui dit de «rupture», qui mise sur une sobriété généralisée. Les auteurs ont regardé les tensions engendrées par les prélèvements futurs (les volumes pompés), ainsi que par la consommation (les quantités d’eau qui s’évaporent et ne sont donc pas directement restituées au milieu), qui vont tous deux augmenter en raison de la demande accrue d’irrigation des cultures. L’agriculture deviendra le secteur le plus demandeur d’eau (30 % du total), passant devant l’énergie. Cela s’explique par la hausse de l’irrigation, notamment en été, car la chaleur accrue et le manque de précipitations assoiffera les cultures.
Au final, «dans tous les cas, on voit une augmentation et une aggravation des tensions en eau sur l’ensemble du territoire» d’ici 2050 pendant les mois d’été mais aussi possiblement l’hiver, résume Clément Beaune, ancien ministre de l‘Europe ainsi que des Transports et désormais à la tête du Haut-Commissariat. Dans plus de la moitié des bassins-versants, cette situation dégradée pourrait perdurer pendant plusieurs mois consécutifs. Le bassin Adour-Garonne (qui comprend les villes de Bordeaux, Toulouse, Pau, Rodez ou encore Brive) «apparaît particulièrement vulnérable» en raison de l’importance de l’irrigation agricole, précisent les auteurs. «Le stockage d’eau [en hiver pour l’utiliser l’été, ndlr] ne peut être l’unique solution», rappelle Hélène Arambourou, car cela permettrait de réduire seulement de 6 % le pic de demande estivale. De plus, environ 20 % de l’eau contenue dans les lacs artificiels et bassines s’évapore, ce qui va encore s’aggraver avec le changement climatique.
Scénario de rupture
Ce rapport au constat «brutal», selon les mots de Clément Beaune, «nécessite une prise de conscience immédiate et des actions renforcées à court terme» pour éviter que la France se retrouve dans «des restrictions massives et chroniques».
Par ailleurs, cette étude ne prend pas en compte ce qui est pompé dans les nappes souterraines, ce qui constitue «une limite importante», admettent les auteurs. Autre écueil : les territoires d’outre-mer, où le sujet de l’eau est encore plus brûlant, ne sont pas pris en compte, mais ils feront l’objet d’un travail spécifique.
Au final, dans l’Hexagone, selon le Haut-Commissariat, seul un scénario de rupture permettrait de limiter les tensions, leur durée ainsi que la part de l’Hexagone concernée. Ce modèle de société reposerait notamment sur une diminution de l’élevage et de la consommation de viande, sur une division par deux de la consommation d’eau des ménages, une séparation à la source de l’urine ou encore une forte diminution de la production nucléaire. «On ne dit pas qu’il ne faut pas de relance nucléaire [voulue par le gouvernement, ndlr] mais il faut prendre en compte le fait que cela a un impact sur la ressource en eau», s’explique Clément Beaune.
Le Haut-Commissariat recommande d’abord de mieux protéger et restaurer les milieux, notamment en reméandrant les rivières, action destinée à redonner aux cours d’eau leur tracé sinueux et à les rendre plus résilients. Il appelle également à aller plus loin que le Plan Eau lancé en mars 2023 et propose plus largement une «planification» dédiée à l’or bleu pour «engager une transformation radicale des usages – et limiter ainsi les pressions sur les écosystèmes et les conflits à venir entre les usagers de l’eau».
Les mesures clés à mettre en place «rapidement» concernent l’agriculture : la «régulation de l’irrigation par les pouvoirs publics», «le soutien à des pratiques agroécologiques plus sobres en eau» ainsi que «des mesures de sobriété énergétique dans l’ensemble de nos activités».
Mardi, la Fabrique écologique a également publié une note appelant à «refonder les politiques de l’eau». «On sent que le sujet est revenu au centre du débat public et médiatique», constate Pierre Victoria, vice-président du think tank. La Fabrique écologique appelle à «prendre en compte les besoins en eau des milieux naturels dans le partage de la ressource» et à mieux préserver l’«eau verte», présente dans le sol et les plantes, ce qui permet à la fois de lutter contre les sécheresses et les inondations. La note recommande aussi d’effectuer «des choix structurants» pour «privilégier des cultures moins consommatrices d’eau, mais surtout pour préserver la qualité des masses d’eau», par exemple en désintoxiquant l’agriculture des pesticides.
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